Ce chapitre est un inventaire de l'impitoyable civilisation
que nous avons bâtie à travers les siècles.
Celle-ci ne s'est construite que par l'addition d'infinités d'erreurs
s'accumulant dans notre histoire et provoquant cette dérive de notre
trajectoire cosmique qui nous met dans
un état d'impuissance.
Et pourtant, au fond de chacun, demeure cette immuable et
inaltérable dimension intemporelle de notre être.
Alors pourquoi ne pouvons-nous plus la vivre ici et
maintenant et à tout jamais ?
A notre naissance, l'enfant et le bébé que nous étions
vivaient dans un monde non local. Il n'y
avait pas de séparation. Notre sommeil
de 18 à 20h par jour nous permettait de rejoindre l'unité où le "je"
(l'égo) ne se formule pas encore.
(Ne dit-on pas pour un bébé qui sourit en dormant : "il
rit aux anges" ... ou n'avez-vous jamais remarqué qu'un jeune enfant peut
soudain "être figé" en regardant un point fixement ... qu'il est le
seul à voir). Mais ce bébé et ce jeune enfant ne connaît pas encore
"l'égo, le JE".
Chacun de nous naît, vit et meurt. Dans cet intervalle de temps nous évoluons
enfermés dans les murs de pierre de la matière de l'espace et du temps,
ballotés par les événements d'un destin souvent incompréhensible, essayant par
de puissants efforts à fabriquer notre bien-être et notre bonheur. Nous les expérimentons sur toutes les gammes
de nos cinq sens et de nos pensées.
Toutes nos émotions, nos sentiments, notre volonté de
bonheur, sont construits, dans leur presque totalité, à partir de cette
imagerie matérielle du monde.
Aussi bien le beau, le laid, le bon, le mauvais, la peur, la
sérénité, toutes ces sensations sont secondées par le sens de la vue, du
toucher, du goût et de l'ouie. Tout le
décryptage de ces images va concourir à renforcer l'usage égotique de notre
cerveau humain.
C'est une loi biologique.
Il faut repousser le plus loin possible notre inéluctable destruction
physique aussi longtemps que nous pouvons vivre heureux et cela dans le plus
grand bien-être.
Il y a déjà deux fantômes qui rôdent : la mort et le
bonheur. Ils vont être les compagnons
inscrits dans tout être vivant.
Apparemment contradictoires, ils sont complémentaires et intimement
liés. La peur de la mort féconde la
plupart de nos bonheurs. Si nous
n'étions jamais heureux ou sans espoir de l'être, la mort ne serait plus une
peur mais une délivrance. D'ailleurs, la
désespérance conduit à la mort par le suicide.
Le bonheur et le bien-être n'existent que par rapport à une
peur, à un mal-être et à l'angoisse de la mort.
Pourtant, nous essayons, comme des forcenés, de savoir qui
fait fonctionner la machine et surtout comment elle fonctionne.
Par cette quête de la connaissance, nous essayons d'ancrer
nos croyances sur des certitudes, qui nous renvoient à des interrogations
perpétuelles ...
De plus, nous avons conçu, d'une part, des systèmes, des
institutions, des structures sociales dont le bonheur ne dépend strictement que
de l'avoir et du savoir et des avantages que
nous en tirons.
D'autre part des religions nous promettent d'hypothétiques
bonheurs métaphysiques, arrachés à cette vallée de larmes terrestres, coups de souffrances, de renoncements, de
morales, d'interdits, de dogmes, de culpabilisations où le goût du bonheur et
du plaisir devient suspect.
Mais il y a encore plus insidieux dans la recherche des
vérités et du savoir. Nous analysons, disséquons, réduisons, coupons les idées,
les sentiments pour observer jusqu'à son point minimum observable. Et nous ne percevons plus la dynamique
globale des événements et des systèmes.
Nous fracturons tout et nous nous sommes fracturés.
Nous sommes comme une fourmi dans une cathédrale, comme
celui, qui le nez collé contre un mur, ne verrait que la pierre devant lui mais
ne verrait ni la pierre au-dessus ni celle en-dessous ... ni la cathédrale.
La science cherche à nous expliquer le fonctionnement du
cerveau. Les neurologues y cherchent le siège de la mémoire, de la peur, du
plaisir. Ils expliquent que le cerveau
secrète des hormones comme les endorphines pour le plaisir, l'adrénaline pour
la peur ou le stress. Ils nous
expliquent que le cerveau s'est complexifié depuis l'aube des temps.
Mais a-t-on vraiment pu découvrir et isoler dans le cerveau,
le beau, la peur, le plaisir, l'amour ? Non certes. Les neuromédiateurs chimiques secrétés par le
cerveau ne sont que la résultante physiologique de cette interaction. Ces sentiments proviennent d'un autre
univers, mais la science n'a pas d'instruments pour les mesurer, elle considère
alors qu'ils n'existent pas.
L'homme solitaire enfermé dans les murs des apparences,
constitués par ses cinq sens et sa rationalité, envisage la vie comme un
phénomène dû au hasard, cherchant à la maîtriser et à la comprendre en analysant
ses lois. Il faut aussi beaucoup
d'orgueil pour arriver à vivre avec le néant, l'égo devient monstrueux.
D'autres se réfugient en vivant des fraternités collectives
exaltantes au travers d'idéologies ou d'intégrismes religieux, en troquant leur
propre conscience pour une conscience collective qui pourvoit à tout et devient
naturellement et brutalement totalitaire.
Et pourtant quelles que soient les horreurs et les tragédies
de notre histoire personnelle ou collective, quelque part au-delà de notre désespoir,
de nos défaites et de nos doutes, demeure en nous-mêmes un immense gisement
fait de beauté d'amour et de bonheur qui survit dans les tempêtes.
Mêlée aux entrelacs de
nos fatalités, cette source imprègne notre destinée jusqu'à la texture
même cellulaire de notre corps. La vie tenace est prête à reprendre son droit à
vivre, à recréer le monde du bonheur.
Inlassablement sur ces terres du malheur, jaillit toujours
cette petit fleur. La naissance des
premiers matins du monde peut éclore en nous à chaque instant et répandre sa
lumière éblouissante et vivifiante. Nous
sommes nés avec.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire